-« Il existe deux sortes d’aventuriers. Y’a les ceusses qui lisent les bon conseils de Tonton Archimède, et qui arrivent parfois à l’âge de la retraite, et puis il y a les autres…
Parce que l’aventurier, il a aussi ses plaies : la rencontre aléatoire, la remarque déplacée, le mauvais couloir, l’alcool frelaté, sans parler des maladies vénériennes… Alors voilà, pour pas laisser les bouffeurs de Gob’ en roue libre, moi Archimède, j’ai décidé de vous faire profiter de mon expérience. Et tiens-toi bien gamin, pour pas un rond ! Une sorte de sacerdoce, quoi…
Alors voilà comment que ça se présente. D’abord, y’a l’avis de l’autochtone, le bouseux, bref le gars du cru. Et puis après j’y vais de mon petit commentaire, et tu sais pourquoi ? Parce qu’il faut jamais laisser le dernier mot au péquenaud, à cause de l’exagération. Le péquenaud, il est chauvin, sinon y serait pas péquenaud, forcément. C’est du genre à vous faire passer un lézard pour dragon, ce qu’est pas gênant en soit, ou au contraire un dragon pour un lézard, ce qu’est quand même plus emmerdant, surtout en début de carrière.
Alors vas-y, collègue, lis, profite, tu me remercieras plus tard. » 

Archimède le Teigneux. (AlT pour les intimes)

 

 SOMBREFAILLE
"Un enfer de verticalité. Ça, c’est de moi ! C’est torché, non ? "
AlT

 

1 Un peu d’histoire…

Il y a plus de mille ans prenait fin la guerre du Sang, qui opposa une énième fois les forces de la lumière et celles des ténèbres. Ces dernières étaient battues partout. À l’est du Mordor, elles refluaient vers les chaînes montagneuses des confins de Khand, poursuivies par l’armée des coalisés. La dernière bataille eut lieu à Sombrefaille, terre d’origine des troupes Orques et Gobelines. Les forces du bien ont triomphé. Loin de leur base, fatiguées par ces années de guerre, et avec la bénédiction de leurs souverains respectifs, ces hommes (et ces femmes, car une armée n’est pas constituée que de soldats, loin de là) firent souche. Deux cents ans plus tard, la cité se déclarait ville franche et prenait sa totale autonomie, mais son administration se ressent encore de son passé militaire. 

2 Et de géographie

Sombrefaille se situe au cœur des chaînes montagneuses de l’est du Khand, entre les deux mers. Elle est constituée de plusieurs pitons rocheux de surface variable (on appelle les deux plus grands des plateaux), et reliés par des arches de pierre naturelle ou des édifices de bois (passerelles ou ponts). Deux fleuves se rejoignent au pied de ces pitons et se divisent en multiples méandres, si bien que ces pitons sont aussi des îles. Les Sombriens ont creusé des niches dans les pitons pour y loger leurs habitations. Les niches, dont certaines abritent des quartiers entiers, sont reliées par des échelles ou des passerelles. Elles peuvent aussi se rejoindre et créer une saillie qui fait tout le tour du piton, ou descendre en pente douce autour du rocher comme les spires d’un tire-bouchon. Depuis l’effondrement du piton des cascades, il y a trois cents ans, un édit interdit sous peine de mort le percement de nouvelles galeries.

La cité est l’un des points de passage obligé entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, ce qui en fait l’une des capitales marchandes de cette partie du monde. On y accède par la route de l’Ouest, qui traverse les montagnes, par le fleuve Juur, qui coule au nord jusqu’à la mer, ou par le fleuve Tajiir, qui se jette dans la Terrannée.

Sombrefaille tire son nom du fait que, passé les premiers niveaux d’habitation, le soleil ne se voit plus que quelques heures par jour. Au niveau des fleuves, il ne faut plus compter que sur une petite heure d’ensoleillement, lorsque l’astre est au zénith.

 

3 Administration

La cité est gouvernée par un gouverneur général, qui contrôle l’administration (à l’exception de la connétablie et de tout ce qui touche à la magie). Le gouverneur a sous ses ordres deux commanderies : celle de la cité et celle du palais. Cette dernière est divisée en plusieurs lieutenances et capitaineries : impôts et taxes, relations extérieures, justice, archives (c’est-à-dire état civil), etc. Les commandeurs sont désignés par le gouverneur général. 

Les lieutenances et les capitaineries sont des charges héréditaires attribuées à des familles, qui les exercent contre une redevance. En théorie, ces charges ne sont pas perpétuelles. En pratique, et à de rares exceptions toujours dues à des événements extraordinaires, les familles les détenant sont les mêmes depuis la fondation de la cité. La famille dont nous parlons est un groupe de parents dirigés par un patriarche (dont le mode de désignation est particulier à chaque famille). C’est lui qui distribue les dividendes des charges et les fonctions que chacun aura à occuper. Naître dans telle ou telle famille, c’est avoir son destin tout tracé. Il est possible de changer de famille par le mariage ou l’adoption entre adultes. Ces enjeux donnent une idée de l’importance de la lieutenance des Archives. 

"Ça magouille sévère entre cousins, et c’est pas rare que Papy loupe une marche. Bonjour l’ambiance aux repas de famille !
AlT 

En raison de la survivance d’une vieille coutume féodale, la connétablie est (presque) indépendante du gouverneur général. Historiquement, le connétable avait la responsabilité des troupes. Aujourd’hui, il chaperonne la lieutenance des sûretés et geôles (police, prisons, et surveillance des cultes qui sont libres à Sombrefaille), la capitainerie des douanes, et le maréchalat des défenses (l’armée, hors les défenses magiques). 

Le surintendant des cabales est lui aussi quasiment indépendant, c’est une survivance de l’astrologue de cour qui accompagnait et conseillait le général de l’armée. Sa charge est la seule qui ne soit pas entre les mains d’une famille, mais dans celle d’un homme seul (il a bien sûr une administration autour de lui). Le surintendant est responsable de la défense magique de la ville et de l’entretien d’une troupe de mages de guerre, de la bibliothèque générale de magie et du laboratoire du palais, et enfin du contrôle de l’usage de la magie dans la cité. Il possède des enquêteurs qui ont pouvoir de douane et de police. 

Le gouverneur général, le connétable, le surintendant des cabales et les deux commandeurs forment l’état-major (ou haut-conseil). 

4 La commanderie de la cité

C’est là que nous pénétrons dans le ventre chaud de la cité. Comme la commanderie du palais, la commanderie de la cité supervise des lieutenances et capitaineries. En voici une liste (presque) exhaustive. Ce sont aussi des charges, ce qui signifie privilège (et donc monopole) mais aussi obligation. 

a) La lieutenance de bouche

Comme son nom l’indique, cette famille a la charge de veiller à l’approvisionnement de la cité. Elle contrôle le grand bazar du plateau de Morg, marché situé juste de l’autre côté de l’Arche de l’Est, seule voie terrestre permettant de venir et de repartir de Sombrefaille. Tout ce qui arrive et repart de la ville passe par le grand bazar. Les commerçants (comme tous ceux de la ville) y travaillent sous l’égide de la lieutenance de bouche et paye une taxe. Cette famille possède aussi le monopole de la pêche au filet et des champignonnières situées au bas des pitons. Elle a le devoir d’entretenir les ponts, les passerelles, les garde-fous. 

b) La capitainerie du port

Le second plateau de Sombrefaille, dit plateau des remous, a la particularité de se trouver à la jonction des deux fleuves qui tourbillonnent doucement autour de lui avec un sens giratoire. C’est là que se trouvent le port de la cité, les deux ports, en fait, celui des départs et celui des arrivées. La famille possédant la charge de capitainerie du port prélève des taxes sur tout ce qui arrive et ce qui repart. Elle a le privilège d’amarrage, et l’obligation de surveillance épidémiologique sur toute la cité, même hors du port. (Les charges n’ont aucune limite ou valeur du point de vue géographique même si les zones d’influences sont réelles). 

c) La capitainerie du translatoire

L’une des plus originales de la cité. Elle est née d’un fait patent : la cité est verticale. La capitainerie du translatoire a pour charge d’assurer le mouvement vertical des biens, des personnes et surtout de l’eau. Elle possède sur chaque piton un système ascensionnel constitué d’une série de monte-charge à crémaillère, et mus de façons diverses. Celui du plateau des remous profite des tourbillons de l’eau et fonctionne grâce à une sorte de moulin à eau. Celui du plateau de Morg fonctionne grâce à un cabestan géant qui tourne grâce à des ouvriers journaliers. C’est un travail pénible réservé aux « orphelins », les descendants des enfants perdus, des prostitués ou des cantinières de l’armée qui ne purent trouver place au sein d’une famille, et qui sont condamnés aux travaux les plus pénibles. 

"Halte là, garçon ! Tu vas quand même pas tomber dans le panneau du stéréotype parfait : grande famille puissante contre orphelins surexploités. Attends un peu qu’on aborde le sujet des corps francs, et réserve ton opinion. Le monde est plus complexe que ça, gamin."
Alt 

Cette famille perçoit une taxe sur l’eau en général et fait payer les trajets verticaux. Elle a l’obligation de veiller au bon état des canaux d’évacuation des eaux usées qui partent des sommets des pitons et coulent en spirale jusqu’au fleuve. Les canaux sont alimentés en permanence par les crémaillères. 

"Habiter en bas, c’est ça qu’est pas chouette. Y fait noir, c’est humide et ça pue."
Alt

 

d) La lieutenance des forges et étuves 

Le piton Forgediable connaît une activité géothermique. La lieutenance des forges et étuves possède le monopole des activités métallurgiques et des bains publics. Le bois est une denrée trop rare pour faire chauffer de l’eau, on apprécie donc les sources chaudes. Cette famille perçoit une taxe sur tous les produits manufacturés, mais doit assurer l’accueil des malades dans ses hospices. 

"Non, mais tu les as vu, les hospices ? Un bon conseil, si t’es malade, vas chez mon pote Maigre-patte. Tu clamseras peut-être, mais moins vite."
Alt 

5 Le revers de la médaille

"Bon, t’as écouté jacter l’autochtone, t’as bien tout pigé ? L’administration, les charges et monopoles, t’as saisi le tout venant ? Alors on va attaquer le curieux, l’étrange, le pas pareil. Mais là, le guide, c’est mézigues. Ecarquille les châsses et loupe pas les lignes, ça serait un pêché mortel."
 "On va commencer comme l’autre cave, par un peu d’histoire. Ça fait pas de mal, et y’en a que ça instruit. Quand les pontes de l’armée se sont partagé le magot : les sources chaudes, le fleuve, les poissons et le reste, y’en a qu’on renâclé au partage. Faut dire, c’était dans leur nature, aux corps francs, de pas obéir. Alors eux, ils se sont créés de petits îlots qui ont encore pour privilège de ne pas dépendre de l’administration centrale. Ce sont des sortes d’états dans l’état. Le plus grand a pour blaze la Terre des sauniers, c’est aussi l’un des endroits les plus rupins de la ville. Ça t’épate, hein ? Je t’avais dit que les choses étaient jamais simples. Les corps francs étaient organisés en compagnies, et les compagnies militaires se sont transformées en compagnies de commerce. Celle qui tient la Terre des sauniers a réussi à obtenir le monopole de la commercialisation du sel et le privilège d’extraction du sel de mer amenés par les fleuves. La compagnie est très riche, on dit même qu’elle brigue un siège à l’état-major, tu piges ?"

 "Ah, évidemment, tous les orphelins n’ont pas cette chance. Prends le piton des Orques par exemple. C’est là où, historiquement, se sont réfugiés les vaincus de la dernière bataille de Sombrefaille. Plus personne n’avait envie d’en découdre et on les a laissés là, dans leur mouise. Le piton est une terre franche, organisée en tribus. Les Gobelins et les Orques qui y vivent (en compagnie d’Humains, de Nains et même d’Elfes tombés dans la dernière des mayonnaises) travaillent comme journalier ou intègrent la compagnie des ratiers, qui possède le triste privilège de chasser la vermine (rats, chauve-souris, et bestioles encore plus improbables) de la cité. Au début, ce privilège avait été perçu comme une aumône, mais plus la population augmentait et plus les ratiers devenaient utiles. Aujourd’hui, on ne saurait s’en passer, si bien que l’un dans l’autre, le piton des orques tire son épingle du jeu. Y’aurait encore beaucoup à dire, notamment que le piton communiquerait avec la montagne environnante (rompant le privilège de l’Arche de l’est), où se déroulerait encore l’ancien culte des tribus maléfiques, sans parler de la contrebande."

 "Non, la vraie misère, on la trouve sur le Pic des âmes. Après la victoire, c’est là que les généraux ont parqué les déserteurs, les criminels, les ennemis qui trahirent la trêve, les putains des armées et leurs enfants hybrides. Là, pas de privilège, pas de compagnie, pas de famille, pas de translatoire. Chacun pour soit et les dieux pour les autres. Sur les hauteurs du pic et sur les pitons environnants, on peut venir s’encanailler pour pas cher et faire frissonner sa bourgeoise. Mais si on descend un peu, gare au loup ! Je te décris pas les enfants volontairement mutilés qui mendient pieds nus, ni ce qu’ils sont prêts à faire pour un demi champignon, je suis sûr que t’imagines. Un dernier truc, dis-toi bien que c’est pire." 

"Je te signale pour info et sans entrer dans les détails (because j’ai soif) la compagnie des charpentiers de marine qui œuvre sur le port à la réfection des navires." 

"Et puis partout dans la ville, y’a tous ces petits métiers. Parce que les familles ne possèdent pas tout. Elle n’ont aucun droit et ne peuvent percevoir aucune taxe sur les métiers exercés seuls, comme les porteurs d’eau qui se tapent la grimpette depuis le fleuve et qui rompent le monopole du translatoire ; les vendeurs de champignons à la sauvette qui écoulent le produit de leur jardin-cave ; les médecins indépendants ; les pêcheurs à la ligne (si t’as bien écouté, tu sais que le monopole de la lieutenance de bouche concerne la pêche au filet, sinon ça sert à rien que je me décarcasse). J’en passe et des moins bonnes." 

"Avant de se quitter (parce que ce coup-là, faut vraiment que j’hydrate la bête), je vais te décrire en vitesse la montée des Carmes, une ruelle typique du plateau de Morg. Ça grimpe gentiment. Des fois, faut monter une volée de marche. Gaffe aux gniards qui dévalent sur leurs planches montées sur roulettes, ça vous péterait un tibia en deux coups. À gauche, c’est les bicoques qui s’alignent. Y’a juste le auvent qui dépasse sur la rue, le reste est creusé dans la roche. Ça sent bon le champignon frit et le poisson au court-bouillon. Entre les maisons ou au-dessus, des arbustes arrivent à s’agripper à la falaise. Certains donnent des baies, c’est pas dégueulasse, et puis ça se distille. À droite, c’est le garde-fou. Quand on se penche un peu, on voit le fleuve et le port."